Les pistes de réflexions

Participation implicative ?

  • Comment rétablir le lien de confiance entre les Français et leurs représentants, à commencer par leurs élus au niveau local ?

  • Par quels moyens remédier au désintérêt croissant, chez certains de nos concitoyens, pour la chose publique et l'intérêt général ? 

  • Plus largement, comment redonner du sens au débat public et l'ancrer au plus proche des habitants, riverains, responsables associatifs... afin de transcender les seuls intérêts particuliers et permettre l'émergence de projets collectifs ?

Ces quelques questions résument les interrogations de tout élu local aujourd'hui, dans un contexte de montée de l'abstention lors des élections et de crise de confiance à l'égard du politique. Longtemps cantonnée à la reproduction d'un modèle unique, la démocratie locale s'ouvre désormais à de nouvelles formes d'expression et de manifestation de la volonté générale. Si la démocratie représentative demeure la pierre angulaire de notre système, on a assisté, au cours de la période récente, à l'émergence d'un autre modèle d'organisation : la démocratie dite participative qui vise à répondre à un besoin d'expression non pleinement satisfait par la démocratie représentative.

Mais une autre variation de la démocratie locale, particulièrement intéressante et porteuse d'avenir, mérite aussi d'être mise en lumière : la démocratie dite implicative. A mi-chemin entre le modèle représentatif et l'orientation participative, cette forme de démocratie réunit le citoyen et ses élus dans une relation de proximité immédiate et les associe dans la recherche de solutions au niveau d'une rue, d'un ensemble d'habitations, d'un quartier, d'une commune... 
En impliquant l'habitant, l'élu l'amène à (re)devenir un citoyen engagé dans la vie de la Cité



Repères avant de se lancer dans une participation citoyenne


Ce guide a pour objectif de dessiner des pistes de réflexion et des clés afin de faciliter la mise en œuvre de démarches de participation citoyenne par les collectivités. Il n’est en aucun cas un schéma de pensée unique ou un recueil de recettes miracles.
Les éléments partagés esquissent des pistes de réflexion, des partages d’expériences et proposent des éléments méthodologiques afin d’aider les collectivités à se lancer dans des dispositifs participatifs !
Il propose une démarche destinée à faciliter la bonne information et coopération de l’ensemble des parties prenantes, le questionnement à
suivre quand on veut se lancer et les repères pour agir.


 Comment le niveau de diplôme influence la crise démocratique

Comment le niveau de diplôme influence la crise démocratique

L'ignorance mène toujours à la servitude, expo de C215 “Douce France”, Mairie de Paris 13, 2015. Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY-NC-ND
Vincent Tournier, Université Grenoble Alpes (UGA)

Plusieurs indices attestent qu’il existe une profonde insatisfaction à l’égard de la démocratie en France : hausse de l’abstention, défiance envers les élites, renforcement des partis dits populistes, hausse de l’engagement protestataire, succès du complotisme.

Signe supplémentaire : depuis quelques années, des appels sont lancés en faveur d’une démocratie plus directe, que ce soit sous la forme de conférences de citoyens ou sous la forme de référendums d’initiative populaire, deux dispositifs pourtant très différents.

Comment expliquer cette situation ? Sans prétendre résoudre une question complexe, nous voudrions insister sur un facteur à la fois important et sous-estimé : le niveau d’éducation.

L’école, temple moderne

Le niveau d’éducation en France, comme dans beaucoup de pays, a fortement augmenté depuis 1945. Alors que seulement 5 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat en 1950, on est aujourd’hui aux alentours de 80 %, dont la moitié pour le bac général.

Une mutation d’une telle ampleur, que des observateurs comme Jean Fourastié ou Ronald Inglehart ont qualifié de « révolution silencieuse », est généralement perçue comme positive – et elle l’est dans une large mesure car une société éduquée est une société plus prospère.

De plus, l’éducation fait l’objet d’une forte valorisation, surtout en France où elle est considérée comme un legs glorieux de la Révolution et de la République.

L’éducation, source de clivages

L’éducation n’a-t-elle cependant que des effets positifs ? Se pourrait-il que la massification des études et la diversification des niveaux scolaires soient aussi un facteur de fracturation ?

Il faut rendre hommage à la sociologie de Pierre Bourdieu qui a bien vu que le niveau d’éducation redessinait la nature des classes sociales sous l’influence du capital culturel.

Par la suite, de nombreuses études sont venues confirmer que le niveau d’éducation exerce un fort impact sur la politisation, les connaissances politiques ou le sentiment de compétence politique. La participation électorale est également très influencée par le niveau d’éducation.

Ce que montrent les résultats de l’enquête européenne sur les valeurs

Les données de l’enquête européenne sur les valeurs (EVS) permettent de corroborer et d’approfondir ces constats sur l’impact politique de l’éducation.

Elles montrent en effet que l’attachement aux principes démocratiques augmente très sensiblement avec le niveau de diplôme (graphique 1). Moins on est diplômé, plus on accepte l’idée que le pays soit dirigé par un homme fort ou par l’armée (graphique 1). On note aussi que les droits individuels, qui ont pris beaucoup d’importance dans la définition de la démocratie, trouvent davantage de supporters dans les milieux diplômés que dans les milieux moins diplômés.

Graphique 1. Démocratie et autorité en fonction du niveau d’études (EVS France 2017)
Graphique 1. Démocratie et autorité en fonction du niveau d’études (EVS France 2017). Lecture : moins de 40 % du niveau primaire dit que c’est « absolument important » d’avoir un système démocratique contre 73 % au niveau master. V.Tournier, Author provided

Si l’enquête ne fournit pas d’indicateurs directs sur la démocratie participative, elle inclut plusieurs questions sur l’engagement associatif ou sur la mobilisation protestataire qui renseignent par défaut sur le potentiel participatif des Français (graphique 2).

Graphique 2. Politisation et engagement politique en fonction du niveau d’études (EVS 2017)
Graphique 2. Politisation et engagement politique en fonction du niveau d’études (EVS 2017). V. Tournier, Fourni par l'auteur

Là encore, le niveau d’éducation apparaît comme un facteur très discriminant, y compris pour la mobilisation protestataire dont on pouvait penser qu’elle serait plus élevée là où les besoins matériels sont plus importants.

Précisons que cet impact du niveau d’éducation se maintient lorsqu’on contrôle le diplôme par d’autres variables (sexe, âge, revenus ou échelle gauche-droite). De surcroît, les corrélations avec le niveau d’études ont tendance à augmenter au cours du temps, signe que le clivage s’accentue.

Les diplômés, « gagnants » du système ?

Comment expliquer de telles différences ? On peut faire une hypothèse : si les diplômés soutiennent la démocratie, c’est tout simplement parce qu’ils y trouvent leur compte.

Les diplômés présentent en effet des intérêts particuliers. La réussite scolaire favorise une bonne estime de soi et le sentiment de maîtriser sa vie. Ayant confiance dans leurs capacités, les diplômés sont portés à revendiquer davantage de libertés dans leur choix de vie. Ils portent donc un regard positif sur les droits individuels, surtout lorsque ceux-ci leur permettent de renforcer leur autonomie. Ils voient la mobilité comme un idéal de vie, comme le montrent les études auprès des étudiants, tout en étant préoccupés par la qualité de leur cadre de vie.

Ils ont aussi tendance à cultiver les valeurs que Ronald Inglehart qualifie de post-matérialistes : le féminisme, le multiculturalisme, l’environnementalisme, l’antiracisme ou le post-nationalisme.

Le contexte post-Guerre froide a amplifié les choses. La mondialisation et la technologie ont offert des possibilités inédites de circuler et d’échanger. Le développement de l’enseignement supérieur, poussé par la compétition entre les États, a permis aux idéaux post-modernes de mieux se réaliser, amplifiant la polarisation entre les winners et les losers de la globalisation ou entre les everywhere et les somewhere.

Niveau de diplôme et valeurs post-modernes

Tous ces éléments sont confirmés par l’enquête sur les valeurs. Plus le diplôme augmente, plus on est favorable à l’égalité entre les sexes, à l’homosexualité, aux drogues douces, à une politique pénale moins sévère et à la préservation de l’environnement (graphique 3).

Diverses opinions sociétales en fonction du niveau d’études (EVS 2017)
Diverses opinions sociétales en fonction du niveau d’études (EVS 2017). Par exemple, 20 % des diplômés de primaires disent que « l’avortement est toujours justifié » contre 60 % des diplomés de master. V. Tournier, Fourni par l'auteur

De même, les diplômés sont nettement plus réticents à l’idée de se dire fiers d’être Français (graphique 4). Ils sont plus facilement concernés par le sort des Européens et des immigrés, et ils critiquent plus souvent la conception généalogique de la nation (avoir des ancêtres français), ce qui explique le discrédit qui frappe l’expression « Français de souche ».

Rapport à la nation et à l’immigration en fonction du niveau d’études (EVS 2017)
Graphique 4. Rapport à la nation et à l’immigration en fonction du niveau d’études (EVS 2017). V. Tournier, Fourni par l'auteur

Crise démocratique… ou séparatisme politique ?

Or, avec la massification de l’enseignement supérieur, couplée à la place croissante du diplôme dans la stratification sociale, les diplômés se retrouvent en position de force pour défendre leurs intérêts. Ils parviennent d’autant mieux à faire valoir leurs préférences qu’ils sont bien représentés parmi les élites politiques), notamment dans le cas des élèves des grandes écoles.

Forts de leur capacité de mobilisation, les diplômés approuvent les dispositifs de type démocratie participative dans lesquels ils savent pouvoir se faire entendre, tout en étant plus réticents à l’égard des référendums qui ont l’inconvénient de niveler les électeurs.

On observe ainsi que les référendums comme celui de 2005 sur l’Europe ou celui de 2016 sur le Brexit ont suscité des critiques de type élitiste. Du reste, aucun des trois derniers présidents de la République n’a eu recours au référendum. Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) a même été explicitement rejeté par le parti présidentiel.

Inversement, les milieux peu diplômés souffrent d’un déficit de relais et de ressources politiques. Ayant l’impression que la démocratie leur échappe au profit d’une oligarchie, ils éprouvent un sentiment d’impuissance et de dépossession qui les fait douter du suffrage universel : à quoi bon voter si les élites parviennent de toute façon à imposer leurs vues et leurs intérêts ?

Contrairement aux diplômés, ils sont nettement moins présents dans les dispositifs de démocratie participative, dont ils ne maîtrisent pas les codes. Plus portés à préférer les référendums, ils attendent surtout du pouvoir qu’il soit efficace. L’appel à un pouvoir fort de type bonapartiste, qui saura court-circuiter les pratiques oligarchiques et confiscatoires des élites, est une option acceptable, surtout en période d’insécurité.

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La démocratie : cycles et équilibre

Comme l’ont souligné les philosophes depuis l’antiquité, un régime politique court toujours le risque de voir une élite aristocratique confisquer le pouvoir au profit de ses seuls intérêts, ce qui génère un mécontentement populaire.

Ne sommes-nous pas actuellement dans un cycle de ce type ? Le phénomène Trump peut être vu comme un cas d’école, avec d’un côté l’attitude hautaine d’Hillary Clinton, qui voit les électeurs de Trump comme un « panier des déplorables » et les rejette en tant que « racistes, sexistes, homophobes, islamophobes » ; et de l’autre le refus de l’alternance électorale avec une tentative de déstabilisation des institutions en janvier 2021, à laquelle vient s’ajouter le revirement récent de la Cour suprême sur l’avortement.

En France, les élections du printemps 2022 ont confirmé qu’il existe un important clivage sociologique entre le parti présidentiel, très soutenu par les diplômés, et le Rassemblement national, bien implanté dans les milieux populaires, la Nupes étant dans une position intermédiaire en raison d’un socle électoral bâti conjointement sur les centres-villes et les banlieues.

L’erreur serait d’opposer une élite éclairée, porteuse de l’idéal démocratique, à un peuple arriéré n’aspirant qu’à la tyrannie. D’une part la démocratie participative peut être vue comme une forme d’anti-parlementarisme savant ; d’autre part les milieux populaires peuvent avoir de bonnes raisons de ne pas souscrire aux grands principes prônés par les élites.

Par exemple, toujours d’après l’EVS, 54 % des personnes peu diplômées disent qu’elles ne peuvent pas faire davantage pour l’environnement, contre 22 % pour les plus diplômées. De même, 35 % des peu diplômées considèrent que les immigrés prennent les emplois des nationaux, contre 10 % pour les diplômés, ce qui rappelle que les opinions dépendent en grande partie de la situation sociale.

Gouverner une société fragmentée

Dans une société fragmentée, la difficulté est évidemment de trouver des réponses satisfaisantes pour tout le monde, en luttant tout particulièrement contre une possible dé-consolidation démocratique.

Un contre-exemple est sans doute la Conférence citoyenne sur le climat lancée par Emmanuel Macron. Cette opération peut être vue comme une tentative pour répondre aux attentes des élites diplômées, à la fois sur le fond (l’environnement) et sur la forme (la démocratie participative). Mais la plupart des propositions finales ont été abandonnées souvent par crainte d'impopularité.

Finalement, le défi actuel n’est pas très différent de celui qui a été identifié par les philosophes classiques, à savoir trouver un équilibre entre la plèbe et l’aristocratie, seule manière d’éviter les dérives aussi bien populistes qu’élitistes.The Conversation

Vincent Tournier, Maître de conférence de science politique, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.



 Les premiers dispositifs de démocratie participative !

Le concept politique de démocratie participative remonte aux années 1960-1970, à la faveur de divers mouvements sociaux, qui interrogeaient les limites de la démocratie représentative. Les démarches associant les citoyens au processus de décision politique se sont progressivement développées, sous des formes multiples (budgets participatifs...).  suite



 La démocratie participative : une réalité mouvante et un mouvement résistible

La "démocratie participative" désigne l’ensemble des démarches qui visent à associer les citoyens au processus de décision politique. D’une diffusion relativement récente, la notion renvoie à des réalités sensiblement différentes et à une évolution de nos systèmes démocratiques qui reste contestée et entravée par de multiples facteurs.

Par  Loïc Blondiaux - Professeur de science politique, Université Paris I Panthéon-Sorbonne       Suite..


 Qu'est ce qu'une consultation publique ? 
      Comment cela fonctionne ?

La place qu’occupe aujourd'hui le numérique a fait émerger de nouveaux modes d’expression et de participation collective. Les consultations ouvertes du public sur internet s’inscrivent dans ce cadre. 

Le site vie-publique.fr renvoie vers le site internet de l’autorité organisatrice de la consultation du public sur Internet. Ce site présente a minima le projet de texte ou de décision accompagné d’une note explicative permettant de rendre l’objet de la consultation accessible à tous ainsi que la décision d’organiser la consultation lorsque celle-ci a pour but de se substituer à la consultation d’une commission. 

Les personnes qui le souhaitent peuvent, en cliquant sur le bouton « Participer à la consultation », déposer sur le site de l’autorité organisatrice leurs observations. 

La durée minimum des consultations, et donc le délai pendant lequel les citoyens peuvent formuler leurs observations, varie selon le type de la consultation :

  • 21 jours (sauf urgence) pour les consultations portant sur des décisions ayant une incidence sur l’environnement ;
  • 15 jours pour les consultations remplaçant la consultation obligatoire d’une commission administrative ;
  • Aucune durée minimum n’est, en revanche, fixée pour les autres consultations ouvertes sur internet.


A l’issue de la consultation, l’administration organisatrice doit publier une synthèse des observations du public sur son site internet.  Le référencement des synthèses des observations du public sur le site vie-publique.fr est obligatoire uniquement pour les consultations ouvertes se substituant à la consultation d’une commission consultative. Dans les autres cas de consultations, ce référencement est facultatif.

Pour les consultations portant sur des décisions ayant une incidence sur l’environnement, elle doit également préciser si elle a tenu compte des avis exprimés et pourquoi. 







 Les consultations citoyennes peuvent-elles redéfinir la légitimité politique ?
       

Aurait-on vécu en France, d’autres crises économiques, sociales, sanitaires et environnementales si les citoyens avaient été consultés ?

Ces dernières années, on a pu constater la volonté de renforcer l’ancrage de la prise de décision publique sur les préférences citoyennes pour des raisons de transparence et d’efficacité de l’action publique.

Les décideurs politiques visent notamment à instaurer une gestion plus performante et plus démocratique au bénéfice des citoyens à l’exemple de la Conférence citoyenne sur le climat et le « grand débat national » sous l’égide de l’État pour faire suite à la crise des « gilets jaunes ». Mais pas que, se sont aussi développés les jurys citoyens, les conseils de citoyens, les conseils consultatifs de citoyens et les conseils de quartiers dans les instances des collectivités territoriales. Ces outils permettent aux citoyens d’observer, d’amender, de proposer, de conseiller les décideurs politiques afin qu’ils puissent adapter les programmes d’action publique, juger des choix effectués et, des effets sur la collectivité.

TheConversation 02/2022 voir suite article


 Et si on tirait au sort les élus ? 

A l’instar de l’urgence écologique, une urgence démocratique caractérise notre époque. Les deux sont d’ailleurs peut-être liées : les échéances électorales ont tendance à engendrer des décisions de courte vue, chaque génération repoussant à la suivante les choix difficiles et ce, quelles que soient les majorités au pouvoir. Dès lors, le système de démocratie représentative peut être interrogé et de fait, un certain nombre d’indices forts atteste de ce questionnement.

Un sondage publié IFOP pour le Journal du Dimanche du 11 août 2019 pointe la remise en question des élus par les Français : 33 % d’entre eux seulement ont une bonne opinion des députés et sénateurs, 20 % jugent les élus honnêtes et 30 % les jugent compétents.

D’autres modalités d’organisation politique peuvent-elles être envisageables ? Bien sûr, le suffrage universel a été acquis de haute lutte par les groupes exclus de la sphère politique, face à des élites. Mais d’autres modalités, comme le tirage au sort politique peuvent être pensées.

Le tirage au sort des élus resurgit à la fois dans un certain nombre d’expériences politiques, après avoir été éclipsé pendant des siècles dans les travaux de chercheurs et dans les débats.

TheConversation 08/2019 voir l'article ici


 RIC Primaire Tirage au sort .. solution à la participation

Primaire populaire, RIC, tirage au sort : la participation est-elle la solution ?

Pierre-Etienne Vandamme, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Désenchantés par la convergence idéologique des partis de gouvernement et le décalage social avec les élus, démunis face à la « perte de pouvoir d’achat du bulletin de vote » qu’induit la mondialisation en réduisant la capacité des États à agir par la fiscalité, beaucoup de citoyens ont perdu foi dans les institutions représentatives traditionnelles.

L'intérêt pour des initiatives comme la Primaire populaire (390 000 votants) pour l'élection présidentielle 2022 ou les propositions de tendre vers de nouvelles formes de démocratie directe montrent une forte volonté d'expérimentation de la part des citoyens.

Ainsi, au delà du contexte politique mouvant, une nouvelle génération de citoyens est arrivée, qui ne se laisse plus impressionner par les arguments d’autorité, qui ne vote plus nécessairement (quand elle vote) comme les parents l’ont toujours fait, et qui croit en sa capacité d’agir par elle-même, sans intermédiaires.

« La démocratie représentative est-elle en crise ? » (Decod’actu).

Cette génération là est particulièrement séduite par les vagues successives d’innovations démocratiques qui se sont succédé depuis une trentaine d’années. Les budgets participatifs, de Porto Alegre (1989), qui ont essaimé à travers le monde. Les assemblées citoyennes tirées au sort, de plus en plus fréquentes. Les mécanismes d’initiative et de révocation, qu’on redécouvre çà et là.

« #PAGOF : La participation citoyenne ».

Il est devenu risqué pour les partis d’ignorer cette tendance lourde. La plupart se disent désormais ouverts à la participation citoyenne, désireux d’innover – surtout quand ils sont dans l’opposition. En Belgique, par exemple, l’évolution des programmes électoraux montre une tendance nette vers l’appropriation d’un certain nombre d’innovations démocratiques par les partis depuis l’expérience du G1000 (2011) et le bestseller de David Van Reybrouck, Contre les élections (2013). Très récemment, cela a abouti à la création d’assemblées citoyennes permanentes, en Communauté germanophone et au Parlement bruxellois. Au niveau local, les budgets participatifs, panels citoyens et mécanismes d’initiative se multiplient.

Le budget participatif, comment ça marche ?

Avec des succès divers, l’Islande (2010-2011) et l’Irlande (2013-2018) se sont embarquées dans des processus ambitieux de révision de la constitution via des assemblées composées entièrement ou partiellement de citoyens tirés au sort. La France et le Royaume-Uni ont récemment fait appel à des conventions citoyennes pour avancer sur la question climatique (2020).

La Suisse, au cœur des innovations démocratiques depuis bien plus longtemps, a même récemment envisagé de tirer au sort ses juges fédéraux (parmi un cercle restreint de candidats disposant des qualifications requises). Nos gouvernements représentatifs ne sont qu’au début de ce qui pourrait être une importante mutation.

Les défis de l’innovation

On aurait tort de croire, pour autant, que nos régimes se dirigent inévitablement vers un approfondissement de la démocratie. Pendant qu’une partie des citoyens éduqués et confiants dans leurs capacités s’enthousiasment pour les innovations démocratiques, d’autres cherchent le réconfort auprès de leaders charismatiques, qui prétendent incarner la volonté populaire et se passent volontiers de canaux alternatifs d’expression pour celle-ci. D’autres encore, agacés par les conflits partisans, confieraient volontiers à des experts indépendants des partis le soin de gérer les affaires publiques. Même si les citoyens les plus jeunes sont généralement les plus enthousiastes à l’égard des innovations démocratiques, rien ne garantit que la plupart des démocraties empruntent cette voie-là.

Ce qui n’est pas non plus encore clair est la manière dont les innovations démocratiques, vont pouvoir se greffer aux institutions représentatives traditionnelles. Dans la plupart des cas, l’objectif n’est pas d’en finir avec les partis et les élections. Il s’agit plutôt d’enrichir et d’approfondir la démocratie. Néanmoins, beaucoup d’innovations démocratiques remettent encore davantage en question l’autorité des élus, déjà largement érodée. Le référendum d’initiative citoyenne conteste leur monopole législatif. La représentation par tirage au sort remet en question les fondations élitistes de la représentation électorale. Peut-on dès lors s’attendre à ce que de telles innovations recréent un lien de confiance entre les élus et la population ? Cela ne paraît pas évident.

Enfin, les innovations démocratiques doivent faire face à un certain nombre de défis mettant en jeu leur légitimité. Celui de la participation, d’abord. Si les taux de participation dans ces innovations reflètent les mêmes inégalités que la participation électorale (en gros, un déficit de participation des publics désavantagés), les bénéfices ne sont pas évidents. De ce point de vue, la combinaison du tirage au sort et de certains quotas permet une inclusion intéressante. Néanmoins, le tirage au sort, réduisant la participation à quelques happy few, possède également ses limites en termes d’inclusion. Un autre défi consiste précisément à combiner participation de tous et délibération approfondie.

À cet égard, les expériences les plus intéressantes sont celles qui articulent tirage au sort et référendum, comme les assemblées citoyennes irlandaises ou le Citizens’ Initiative Review en Oregon. Elles ont également l’avantage d’être influentes, alors qu’un grand nombre d’innovations démocratiques, jusqu’à présent, ont peiné à peser sur les décisions collectives – autre défi à relever.

Quelle démocratie en 2040 ?

Il y a de bonnes raisons de penser que pour résister à l’érosion continue de la confiance populaire, les gouvernements représentatifs devront poursuivre leur mue, dans les prochaines années.

À moins d’emprunter la voie nettement moins séduisante d’une déconsolidation démocratique, voire d’une transition autoritaire, comme cela semble être le cas dans une diversité de contextes (Hongrie, Pologne, États-Unis), ou encore celle de la technocratie, on pourrait voir apparaître des régimes démocratiques « hybrides ».

Plutôt qu’une incarnation de la volonté populaire par un seul parti, ou la gestion du bien commun par des technocrates, ces régimes démocratiques hybrides miseraient sur la pluralisation des expressions de l’opinion publique. La population serait représentée à la fois par des élus, issus de partis, et par des citoyens ordinaires, tirés au sort pour exercer des fonctions idéalement distinctes de celles des élus. Et parce que ces modes de représentation s’accompagnent inévitablement de distorsions diverses, des mécanismes d’initiative et de participation directe des citoyens viendraient compléter le tableau.

Il y a fort à parier, par ailleurs, que se développeront des innovations démocratiques ayant la capacité de restaurer une certaine confiance dans les élus et dans les partis. On songe par exemple au mécanisme de révocation (recall), récemment réintroduit au Royaume-Uni, qui permettrait à la population de sentir qu’elle exerce un certain contrôle sur ses représentants, qu’ils ne sont pas libres de faire tout ce qu’ils veulent. On songe également à la démocratisation interne aux partis, qui est susceptible de relancer le potentiel d’intégration de ceux-ci, du moins pour ce qui concerne les citoyens « cognitivement mobilisés », qui sont informés et souhaitent s’engager. Ou encore des initiatives telles que la récente primaire populaire, pour celles et ceux qui peinent à s’identifier aux partis existants ou qui souhaitent en finir avec le monopole des partis sur le processus électoral.

Nos démocraties ne seront probablement pas radicalement transformées en 2040, en raison des résistances d’un monde politique soucieux de préserver ses prérogatives, mais il y a de bonnes chances que leur mutation soit largement entamée.


Cet article a été mis à jour avec de nouveaux éléments. Il s’inscrivait initialement dans le cadre d’une réflexion collective de synthèse et prospective « 20 ans déjà, 20 ans demain. 2000-2020-2040 » sur quelques évolutions politiques majeures à l’occasion des 20 ans du Cevipol.The Conversation

Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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